30 décembre 2019

Pour la Martinique, c'est tout droit

Les transats se succèdent : c'est ma 7ème, et ma 3ème dans le sens est-ouest. Pour celle-ci, toutes les chances semblent de notre côté : le bateau est au point sur tous les plans, la météo de départ est idéale, et Powhatan embarque un nouvel équipage aussi efficace que sympathique.



 




Arrecife : Powhatan à Marina Lanzarote

7 décembre : Alain et moi, de retour à Lanzarote, passons deux jours à monter diverses pièces de rechange apportées dans mes bagages, et à un contrôle général. La batterie moteur, seule restante, a fini sa vie et est remplacée. 

Nous sommes rejoints par Pauline et Nino pour l'avitaillement. L'équipage est au complet, nous sommes prêts au départ. 



Les prévisions météo indiquent une position optimale de l'anticyclone sur tout l'atlantique pour au moins 8 jours : nous prendrons donc une route directe vers les Antilles, sans la traditionnelle descente initiale vers les îles du Cap Vert.

Prévision à 5 jours

Départ d'Arrecife

10 décembre : après le passage par la station carburant, nous hissons les voiles réduites à 1 ris sous 18 nœuds de vent de nord-est. 




Un fraîchissement est prévu avec fort effet venturi entre les îles Canaries : on peut s'attendre à au moins 40 nœuds de vent dans les canaux. Nous allons donc contourner tout l'archipel à bonne distance par le sud, en prenant un cap au 189° à l'est de Fuerteventura.

Météo de la zone Canaries
Route par le sud

Dès la première nuit, la routine des quarts se pimente d'imprévu. Au moment de relayer Alain, lui et moi observons des feux suspects à courte distance : alerte aux filets dérivants ! Une barque au pilote vociférant (est-ce après nous ?) nous croise sans s'arrêter. Nous n'avons pas le temps de déterminer de quel côté passer : nous avons accroché une ligne sous le safran tribord. Attaché sur la descente et armé avec gaffe et couteau, je coupe 3 gros filins de pêche qui visiblement viennent de loin. Nous sommes libérés ! L'énergumène s'éloigne, il semble n'avoir rien remarqué. Il verra bien assez tôt notre méfait...


 


Il faut 3 jours pour nous dégager du puissant flux de nord-est renforcé par les Canaries : jusqu'à 32 nœuds en rafales. Sous 1 puis 2 ris, à une bonne vitesse de 8 à 9 nœuds, nous faisons des journées record : jusqu'à 191 milles nautiques par 24 h, 8 nœuds de moyenne. La mer est très agitée avec une houle croisée par les reliefs. Nos nouveaux équipiers fatiguent nettement mais assurent courageusement leurs quarts et la tenue de la cambuse. Une fois amarinés, ils s'y montreront excellents !


Prise en main des fourneaux


Une carte rigoureusement établie


14 décembre : la voie est libre. Le flot furieux fait place à la houle régulière de l'atlantique, sous un aimable vent de 15 nœuds. Les ris sont largués, et nous entamons une longue traversée quasi-rectiligne, au grand largue ou, le plus souvent, en vent arrière avec voiles en ciseaux. Powhatan se révèle particulièrement stable à cette allure très confortable et désormais privilégiée.




Les températures montent au fur et à mesure que la latitude baisse. Nous reprenons de temps en temps des ris quand le vent fraîchit, nos distances journalières se stabilisent autour de 160 milles.

À bord, ce sont les vacances ! Nous avons enfin résolu les problèmes électriques qui nous avaient empoisonné la vie il y a un an sur ce même parcours (cf. transat 2018) : Powhatan a maintenant son hydrogénérateur et l'allure de vent arrière permet une meilleure exposition des panneaux solaires. La régulation des alternateurs est au point, et les erreurs du moniteur de batteries sont identifiées et corrigées (voir encadré ci-dessous). Tout cela change la donne pour la charge des batteries, et il faudra beaucoup moins d'heures de moteur pour compléter nos besoins en énergie.
  




Résolution des problèmes électriques :

 

Gestionnaire de batteries E-xpert Pro :


Les valeurs de débit ont été contrôlées en isolant chaque producteur et consommateur et en mesurant les intensités à la pince ampèremétrique. L'E-xpert Pro donnait des valeurs cohérentes mais la précision de ces mesures restait approximative vu les fluctuations constantes. En revanche, les calculs de capacité restante étaient erronés, d'où nos interrogations lors des traversées précédentes où nous ne savions pas où en était la charge des batteries. On avait vu l'E-xpert Pro afficher jusqu'à -1000 Ah (pour une capacité nominale de 642 Ah) alors que les tensions restaient dans les plages habituelles de batteries chargées. Après avoir débranché tous les producteurs et consommateurs, nous avons constaté que l'E-xpert Pro affichait un courant de décharge continu et stable de 0,3 A, alors que nous avions bien 0 A mesuré directement sur les sorties des batteries, confirmant au passage l'absence de fuite électrique. Nous trouvions ainsi une erreur de -7,2 Ah par jour sur le calcul de capacité restante (pour -0,3 A d'erreur constante), soit -50,4 Ah par semaine et -151,2 Ah sur une traversée de 3 semaines. Pour éliminer un problème de câblage, nous avons testé l'installation avec un nouveau câble RJ45 blindé et torsadé par paires, posé en "volant", et le résultat était exactement le même.
Nous pensons avoir ainsi résolu ce problème d'incohérence des valeurs de capacité restante, due à un défaut interne de l'E-xpert Pro. Il est à noter que les versions récentes de cet appareil comportent un paramétrage de l'offset de mesure d'intensité, ce qui prouve que ce problème est connu du fabricant. 

Il nous a suffi de créer un petit tableau de correction de l'erreur cumulée jour après jour, pour avoir enfin une gestion précise de la charge des batteries. Cela a parfaitement fonctionné sur cette transat, les calculs étant validés lors des recharges complètes par les alternateurs, puis sur prise de quai.
  



Chargeur d'alternateur Sterling AtoB avec 2 alternateurs :


Ce montage est validé par le fabricant, mais la documentation fournie est muette sur 2 éléments fondamentaux : comment monter les sondes de température, et comment raccorder les batteries de démarrage. Il n'y a en effet qu'une entrée sur le Sterling pour une sonde de température alternateur et une seule sortie pour batterie moteur.
Nous avions d'abord monté les 2 sondes de température respectivement sur les 2 entrées du Sterling prévues, l'une pour une sonde de température alternateur et l'autre pour une sonde batteries (qui est optionnelle). Cela empêchait la charge accélérée de l'alternateur dont la sonde était branchée sur l'entrée batteries, car, comme nous l'avons appris de la documentation et surtout de multiples échanges sur le forum Plaisance Pratique, ces sondes sont des thermistances d'impédances différentes. Nous avons alors monté les 2 sondes ensemble sur l'entrée température alternateur du Sterling, d'abord en parallèle, puis en série. Dans le premier cas, aucun alternateur n'était plus accéléré, et dans le second cas, les deux se mettaient à produire, mais avec une fausse sécurité car la valeur de rupture envoyée par les 2 sondes en série était en fait doublée : ce montage était dangereux. 
  
Nous avons trouvé la solution en interposant un commutateur 3 voies entre les sondes et le Sterling, permettant de sélectionner une seule sonde à la fois. Cela constitue bien sûr une contrainte car il faut penser à actionner ce commutateur chaque fois qu'on change de moteur. En cas d'utilisation simultanée des 2 moteurs, l'un des deux n'est pas contrôlé mais cela n'intervient que lors des manœuvres, donc sur une courte durée qui ne risque guère de faire griller un alternateur.

Avec ce montage, nous avons retrouvé un fonctionnement entièrement normal du Sterling sur chaque moteur, avec une charge en 3 phases des batteries servitude et des cycles alternant entre parcs servitude et démarrage.




 Charge optimisée par alternateur


Quant au problème du branchement des batteries moteurs, nous l'avons simplifié en ne gardant qu'une batterie de démarrage pour les 2 moteurs, ce qui a donné toute satisfaction sur cette traversée.





Les inévitables avaries se réduisent à peu de chose : 
  • quelques pannes par faux-contacts vite réparés en resserrant vis et boulons :

    Un petit coup de tournevis au tableau électrique

  • un bouchon de boîtier de latte perdu ; on préfère retirer la latte plutôt que de risquer de la perdre :

    Une latte et de l'élégance en moins
  • du jeu sur la pièce de jonction du vérin de pilote, que nous fixons provisoirement sur la pièce du bras de liaison :

    Montage de fortune
     
  • un peu plus gênant, une pale de l'hydrogénérateur perdue, ce qui va engendrer des vibrations sonores de plus en plus inquiétantes. On finira par le débrancher à quelques jours de l'arrivée, les panneaux solaires produisant alors à leur maximum.

    Ce sont même 2 pales qui manquent à l'arrivée !

Pendant ce temps, la cambuse fourmille d'activité. Pauline et Nino nous préparent une multitude de recettes, dont une quantité impressionnante et quotidienne de pâtisseries, cookies, pancakes et galettes en tout genre. Mais tout l'équipage participe : on frise la suralimentation...!






La fabrication du pain reste l’apanage du capitaine

Alain à l'attaque du jambon

19 décembre : au milieu de la nuit, nous sommes à l'exact milieu de la traversée, 1500 milles tout rond parcourus et restant à parcourir (en ligne droite théorique). Nous gardons de bonnes moyennes journalières : autour de 170 milles dans un excellent confort.






On ne néglige pas les tâches ménagères


22 décembre : changement de programme. Nous avons un peu dévié la route au sud pour éviter une zone de calme, en transition vers la route des alizés. Notre vitesse diminue nettement. Le gennaker est hissé quelques heures, puis nous ferons 8 heures de route au moteur, mises à profit pour recharger les batteries à fond et valider nos calculs de capacité restante. Le vent revient progressivement, et nous retrouvons des distances quotidiennes de 150 milles pour le jour de Noël. Les températures deviennent tropicales : air à 28°C, eau à 26,9°C.






Quelques lignes de grains à l'approche des tropiques


24 décembre : les chefs de cambuse se sont surpassés pour le réveillon : sangria maison, amuse-gueule variés, hamburger maison, et encore des gâteaux. Le clou de la fête : un arbre de Noël de fabrication artisanale !

Apéritif-sangria
La vraie bûche de Noël
🎵  Mon-beau-sapin...🎵




26 décembre : à 4 jours de l'arrivée, nous tirons un bord vers le sud pour contourner une nouvelle zone déventée. 

Un crochet sous les 13° de latitude nord


Nous croisons de près un voilier tirant en direct vers la Martinique. J'ai un bref échange par VHF avec ce bateau, nommé Cisampo, qui raconte s'être trouvé au milieu d'une chasse à la baleine par un baleinier japonais : désolant...

Cisampo sur l'horizon

Pour nous, c'est une navigation de promenade par grand beau temps, sous gennaker et avec dauphins. 






Un costaud !
Maman et bébé

L'alizé revient sans trop de vigueur : petit force 4 sur les 2 derniers jours, ralenti de surcroît par un inattendu courant portant à l'est, de 0,5 nœud et jusqu'à 1,5 nœud. 





Autre surprise : Alain trouve que le point de drisse de grand-voile a une drôle de tête... Après observation aux jumelles, il s'avère que le mouflage s'est décroché de la tête de mât. La voile tient grâce au blocage du nœud dans la poulie de têtière. Heureusement il n'est pas prévu de prise de ris jusqu'à l'arrivée, reste à prier Éole et Poséidon que ça tienne !






29 décembre : à 30 milles de la Martinique, le vent tombe à 7 nœuds, le courant contraire se renforce à 2,5 nœuds. Notre vitesse atteint péniblement 2 nœuds. Le sprint final se fera au moteur pour les quelques heures restantes.

Nous jetons l'ancre à 23 h au mouillage de Ste Anne en Martinique. La transat s'achève par un bain de minuit très apprécié dans une eau limpide à 27°.


Mouillage nocturne en baie de Ste Anne

Ste Anne au petit matin

 


Avant de gagner le port du Marin, Nino monte au mât pour évaluer les réparations à faire.





Au ponton de la marina du Marin

Trace GPS de l'ensemble du parcours


Quelques données sur la traversée :
Distance en ligne droite (orthodromie) : 2762 M
Distance parcourue : 3116 M
Durée : 19 jours 1/2
Moyenne journalière : 159,8 M soit 6,66 nœuds
Heures de route au moteur : 16 h
Total heures moteurs (charge batteries, dessalinisateur, eau chaude) : 68 h
Dessalinisateur : 1075 l d'eau douce produits






Crépuscule sur le rocher du Diamant


Merci à Pauline et Nino pour leur contribution en photos


2 commentaires:

  1. Toujours aussi bien fait le récit.
    Merci de me faire encore participer à cette transat.
    bises

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  2. Bonne et heureuse année 2020 à toute la famille Powhatan !
    Je viens de seulement voir tes billets depuis cet été...
    Toujours autant de plaisir à lire.
    Merci pour le partage !
    Flora

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