11 juillet : la plus longue étape de la croisière va nous mener aux
rives africaines : 239 milles en distance, en réalité 262 milles
parcourus compte tenu des bords arrière. Un vrai défi pour l'équipage,
48 heures de navigation dont 2 nuits en haute mer.
Les pleins sont faits en gazole (consommation quasi-nulle depuis le
départ), eau douce, vivres, bière et surtout rosé... La production
d'énergie suit parfaitement les besoins. Les quarts de nuit succèdent
aux siestes de jour, indispensables pour une bonne gestion du sommeil.
Sur un tel parcours, nous allons tout connaître. Le vent est d'abord
généreux, un bon force 6 : Benoît va s'éclater dans les surfs sur des
vagues de 2 mètres, le bateau dépassera plusieurs fois les 10 nœuds en
vitesse-fond. Puis tout cela va faiblir : on va de nouveau hisser le spi
dans le petit temps, et finir au moteur jusqu'à l'arrivée en vue de la
côte tunisienne.
Selon les prévisions météo, j'avais décidé un
large bord vers l'est, pour redescendre plein sud quand le vent
tournerait à l'ouest. C'était une erreur : la rotation a été beaucoup
plus tardive, et sur un vent mollissant à tel point que ce supplément de
route nous a beaucoup retardés. Inutile d'essayer de rattraper le
peloton qui a d'emblée pris une route directe au moteur... Pourtant quel
plaisir que ces heures de barre avec un bateau vivant, ses 7,5 tonnes
escaladant puis dévalant les montagnes d'eau à notre poursuite !
Une fois au large, nous nous retrouvons dans le canal de Sardaigne :
une des routes maritimes les plus fréquentées de méditerranée, véritable
rail qui joint le canal de Suez à Gibraltar. Nous passons au milieu de
dizaines de monstres dont la taille standard dépasse les 300 m.
Après avoir longé de loin la côte nord de Tunisie, nous approchons le
cap Bon sous le soleil couchant. Pour l'honneur, le moteur est arrêté et
l'asymétrique de nouveau hissé jusqu'à la nuit : malgré un vent ne
dépassant pas 6 nœuds, comment ne pas aborder l'Afrique sous voiles ?
La pointe nord-est du cap Bon
Au matin du 3ème jour, nous entrons dans Port Yasmine, la grande marina près d'Hammamet.
C'est ma première arrivée en bateau dans un pays non européen :
pavillon Q, mise en attente pendant les formalités, visite des
douaniers.
Port Yasmine : la capitainerie
Le contact est aimable et efficace. Mes quelques réminiscences d'arabe
tirent des sourires polis aux uniformes pendant que je noircis des pages
en 5 exemplaires... Nous bénéficions surtout du passage avant nous (!)
de presque tous les autres bateaux de la Bordée, ce qui limite les
interrogations des gabelous. Le comité (Marie !) nous avait chapitrés : à
part le vin, pas d'alcool fort en bouteille fermée. Nous nous étions
donc soigneusement employés pendant cette longue traversée à ouvrir tous
les apéritifs, pastis et autres Martinis... Avec les 3 douaniers montés
à bord, le bateau paraît soudain bien petit, mais tout s'achève dans
une bonne humeur un peu forcée.
Teles en escale
Port Yasmine est un parking à bateaux, ni plus, ni moins. Pas l'ombre de l'âme d'un port, pontons cadenassés, pas de commerce à proximité (bonjour l'avitaillement), pas de petit café ou restaurant sympa, et pour le shipchandler il faut s'en remettre à l'omnipotent et exclusif chantier Rodriguez, toujours là quand on n'a besoin de rien...
Après une brève visite à la médina d'Hammamet, je vais passer la journée suivante sur le bateau qui a quelques soucis : la pile à combustible refuse de redémarrer après changement de cartouche, et la pompe d'eau douce est morte. Après quelques contacts par internet (au moins ce port insipide a un wifi performant), la pile s'avère irréparable sur place. Pour la pompe, je vais me transporter 3 fois chez l'ami Rodriguez : après ces allers-retours avec ma pompe en panne, d'un modèle pourtant très courant mais absent de l'étal, le vendeur secoue la tête puis tourne les talons sans un mot : à mon grand déplaisir, je retrouve mes mauvais souvenirs d'il y a 30 ans - rien à gagner, rien à cirer...
Après des heures d'efforts au fond du bateau transformé en
étuve, je m'en tirerai avec une réparation de fortune qui nous
permettra quand même d'avoir l'eau courante à bord pour le reste de la
croisière.
Enfin le grand pavois, que le comité (Marie, quoi !) nous impose aux
escales, se dénoue et la drisse de spi qui le tenait se retrouve à voler
au vent à 6 mètres en l'air, accrochant au passage la drisse de
grand-voile : plus moyen de monter au mât avec l'une pour récupérer
l'autre. Benoît va réussir l'exploit, juché sur la bôme et à l'aide de 3
gaffes scotchées bout à bout, de rattraper le mousqueton de la drisse
et de ramener les deux drisses sur le pont.
A côté du port, la
côte est une frange bétonnée à l'infini d'hôtels à la Las Vegas, depuis
Nabeul au nord jusqu'à Sousse et probablement au-delà, vers Gabès et
Djerba.
Les investisseurs ont vu grand : ce parc de loisirs géant est quasi-désert. En début de soirée, les bars sont vides, les serveurs désœuvrés
battent la semelle.
Un bar de plage à l'abandon, des enfants jouant sur une carcasse de
barque : au cœur de la saison estivale, on se croirait au lendemain d'un
exode.
15
juillet : après une sympathique soirée barbecue, le départ suivant a
été retardé d'une journée en raison d'une météo un peu mouvementée.
Certains bateaux sont partis quand même, d'autres resteront une journée
supplémentaire. La Bordée ne ressemble plus à grand chose... La tempête
annoncée est tout au plus un bon force 5, au près pour une fois. Avec un
ris dans la grand-voile, nous rejoignons rapidement Port El Kantaoui, près de Sousse. C'est l'escale la plus au sud de la croisière.
Port El Kantaoui
Et là c'est superbe : petit port accueillant, restos et boutiques sur
les quais (on oublie le Luna Park vulgaire juste derrière). Il est
encore tôt et malgré la chaleur nous décidons une courte excursion vers
la somptueuse médina de Sousse. Souvenirs, souvenirs... J'étais ici il y
a 29 ans, tout a changé sauf cette vieille cité derrière ses remparts
majestueux. Fraîcheur et remontée dans le temps : mes équipiers
découvrent et je retrouve les bruits, les couleurs, les parfums.
Sousse : les remparts et la vieille ville |
Le souk
Pour achever ce séjour tunisien sur une note gastronomique, Jérôme va
déployer ses talents de chercheur du meilleur restaurant. Après avoir
arpenté quatre fois le port et épluché tous les menus affichés (je
m'assieds affamé en refusant un cinquième tour !), nous nous attablons
dans un fond de cour où on vante le meilleur couscous de la côte. Las !
il n'y a plus de couscous, ni même de vin. Nous dévorons avec une rage
rentrée les bricks et la bière réclamée 3 fois, en remettant à plus tard
les souvenirs inoubliables...
A suivre ici
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