16 juillet, Port El Kantaoui, Tunisie : la dernière étape de la croisière commence mal. Nous suivons quelques bateaux à la station de carburant pour le plein de gazole. La pompe tombe en panne juste au moment de notre tour ! Bien qu'ayant encore des réserves, je ne veux pas entreprendre les 200 milles de la prochaine traversée sans avoir refait le plein. Nous en serons pour 2 heures d'attente dans une chaleur déjà lourde en ce début de matinée, quand enfin le réparateur arrive.
Il faudra encore refaire le
tour du port pour changer de la monnaie car on ne peut payer qu'en
espèces (bien entendu nous avions liquidé nos dinars inconvertibles en
quittant la Tunisie), et il est déjà 10h30 quand enfin nous mettons le
cap sur Malte.
Cette étape est éprouvante : le vent arrière est faible ou inexistant. A plusieurs reprises nous hissons les voiles et le spi, puis affalons et remettons le moteur quand le vent tombe sous les 5 nœuds. Il n'y a pas un souffle d'air sur le bateau, la chaleur impitoyable dépasse les 35° et retombe peu la nuit.
Il n'y a pas de cargos dans ce
secteur, mais de nombreux chalutiers invisibles à l'AIS et dont nous
redoutons les filets. Il faut le reconnaître, certains se sont déroutés à
notre approche pour passer sur notre arrière.
Sur cette mer plate, peu de distractions : la petite île de Linosa, et
des familles de dauphins qui nous visitent régulièrement au crépuscule.
Linosa
A la fin du 2ème jour, nous apercevons enfin les falaises de Gozo et l'île de Malte.
Gozo et Comino |
La côte sud-ouest de l'île de Gozo
Nous passons le détroit entre les deux îles à la tombée de la nuit, et accostons à près de minuit dans le port de La Valette
après une navigation au GPS dans ses innombrables ramifications. Tous
les bateaux sont arrivés depuis longtemps, et le bruit courra que nous
nous serions arrêtés en route, par exemple sur Linosa...
Au
matin suivant, nous découvrons ce site portuaire immense, établi sur un
réseau de bras de mer qui s'enfoncent loin dans les terres et offrent un
exceptionnel abri naturel. Les fortifications et innombrables églises
mêlent le baroque italien à l'architecture militaire : dans ce tableau
monumental, l'œil ne sait où se poser.
Malte : Grand Harbour Marina |
Nous sommes parqués au fond d'une darse nommée Quai des Esclaves : à
part la magnifique vue, le confort est minimal. L'endroit est jonché
d'immondices, le quai est en mortier friable mortel pour les bateaux, il
n'y a ni électricité ni poubelles et aucun commerce proche. L'éolienne
nous fournira l'énergie nécessaire mais pour avitailler avant le retour,
c'est un réel problème.
La Bordée Maltaise au complet
Teles, dernier arrivé
En attendant, le comité (c'est à dire Marie, assistée d'accortes guides
maltaises) nous charge dans deux cars et va nous faire découvrir l'île.
24 km sur 12, le tour est vite fait. Nous faisons une première halte à Mdina, première capitale de Malte, joyau baroque fortifié sur une colline écrasée de soleil.
Arrivée sur Mdina
Mdina : le centre historique |
Seconde halte à Marsaxlokk
sur la côte sud : petit port de pêche et port industriel, marché aux
saveurs multiples où nous allons trouver une partie des vivres
nécessaires pour le retour, des fruits frais et surtout du vin !
Le port de Marsaxlokk |
Le marché aux poissons
C'est la fin de la Bordée maltaise. Le comité (Marie !) et nos hôtes
maltais nous offrent un buffet-apéritif cette fois somptueux. Bernard
nous a rejoints et nous serons désormais quatre sur Teles. Il fait
toujours aussi chaud quand la ville s'endort, demain on rentre.
Le centre de La Valette la nuit
Le retour
20 juillet : nous voilà de nouveau confrontés au problème du
carburant. Pour la totalité des trois ports principaux et des nombreux
ports secondaires, il n'y a qu'une station sur une barge de l'autre côté
de La Valette. Grosse crise de rigolade lors des échanges avec le
pompiste, au physique néandertalien et au mental quasi-reptilien. Le
chien, bien assorti à son maître, va tenter de s'exonérer sous les deux
espèces sur nos amarres, préservées grâce à nos réflexes marins malgré
les spasmes de rire qui nous secouent les côtes... Après cet intermède,
il nous aura fallu une bonne heure pour enfin embouquer la digue vers le
large.
Le
vent met nos nerfs à rude épreuve : de face puis dans le dos, autour de
6 nœuds avec d'éphémères risées à 9 nœuds tout au plus.
Nous passons notre temps à changer les réglages de voiles, hisser le spi dès qu'il y a un peu de portant, mettre le moteur quand on ne peut plus faire autrement.
Nous expérimentons des allures baroques, tel le grand
largue sous asymétrique et moteur !
Nuit au large de la côte sud de Sicile, au moteur. Nous sommes
environnés de chalutiers : le radar nous guide en anticipant leur route
souvent changeante. Toujours les filets à éviter... En début
d'après-midi nous touchons la pointe ouest de la Sicile : il faut
avitailler et refaire le plein de carburant avant la longue traversée
vers le nord Sardaigne. Nous faisons halte à Marsala,
port très moche et dangereux où nous louvoyons entre chalutiers,
ferries, et policiers qui nous repoussent quand nous accostons sur le
quai des ferries. Nous arrivons tout de même à charger le nécessaire et
repartons immédiatement.
Peu après le départ, il y a un bon
vent de nord et nous marchons bien sous voiles au près. Je vérifie les
vannes car il y a de la gîte, et ...horreur !! Il y a une abondante
entrée d'eau au niveau de l'évacuation de la salle d'eau. Vite je fais
virer de bord pour gîter sur tribord. Il y a une fuite que je localise
avec difficulté sur la sortie du lavabo : l'eau de mer remonte à la gîte
et entre par là. Aidé de Benoît, je démonte toute la tuyauterie et fais
plusieurs essais de serrage car la fuite persiste. Je sectionne
l'extrémité du tuyau qui me semble en cause, et après avoir resserré les
colliers à mort (certes il ne faut pas, mais dans ces cas-là on n'a
guère le sens des nuances), il n'y a plus qu'un petit filet d'eau que la
fermeture de la vanne suffit à tarir. Il y a déjà la pompe en panne, il
faudra en plus gérer la vanne de sortie ! La réparation tiendra
cependant jusqu'à l'arrivée, au prix de petites entrées d'eau à chaque
manœuvre de vanne.
Le soir arrive quand nous passons entre les
îles Egades (quel beau terrain de jeu, cet archipel, à visiter à une
prochaine occasion !), puis le vent s'établit au nord-est entre 7 et 9
nœuds ; jolie navigation toute la nuit sous voiles, qui se poursuit le
matin. L'après-midi du 21 juillet le vent tombe et le moteur nous pousse
jusqu'à la fin de la journée. Et au crépuscule, comme souvent, visite
des dauphins.
Deuxième nuit : de nouveau du vent, et à 5 heures du matin il faut
même prendre un ris. C'est une nouvelle fois un plaisir sans partage de
filer à plus de 8 nœuds le long de la côte nord-est de Sardaigne. Étant
donné ces bonnes conditions, nous sommes un peu en avance sur l'horaire
prévu et nous allons dépasser l'étape que nous avions prévue à La Caletta pour gagner un joli mouillage plus au nord, devant le petit port de Portisco.
Autour de Portisco
Après plus de 400 milles en 3 jours et 3 nuits, cette halte-baignade suivie d'une nuit de récupération est bienvenue.
24
juillet : les Bouches de Bonifacio passées en tirant des bords le long
des Lavezzi par 15 nœuds de vent de sud-ouest - encore des moments
d'extase dans ce décor unique. Remontée de la côte corse jusqu'à Ajaccio
que nous abordons au milieu de la nuit. Surprise : alors que Bernard
est de quart tombe une épaisse nappe de brouillard. L'AIS indique un
cargo tout proche, Bernard s'affole un peu et se met à faire faire des
ronds sur place au bateau...! Jérôme et moi dormons mais Benoît se
réveille et monte au cockpit juste à temps pour éviter une fâcheuse
rencontre : le cargo nous croise à 10 ou 20 m. Je finis par me réveiller
et je trouve Benoît sous le choc ! Il semble que nous soyons passés
tout près d'une "fortune de mer" et rétrospectivement, on a eu chaud...
Hé Bernard, en cas d'urgence on appelle le capitaine...!
Le brouillard est toujours là, à ne pas voir l'avant du bateau.
C'est mon tour de quart et je vais avancer à très petite vitesse, guidé
au radar, jusqu'au milieu du golfe d'Ajaccio. Tout le monde est convoqué
sur le pont pour scruter la purée de pois et identifier les échos du
radar : même les bouées du chenal renvoient des échos. Heureusement il
est moins de 5 heures du matin et il n'y a pas de pêcheurs. Enfin l'air
s'éclaircit juste devant l'entrée du port. Dans la nuit, nous entrons en
cherchant une place provisoire. C'est bondé, il y a plusieurs rangs de
bateaux à couple. Une grosse vedette quitte sa place et nous nous y
amarrons pour attendre le matin et débarquer Bernard.
Cela fait, nous allons prendre un mouillage à l'entrée du golfe,
le temps d'une baignade et d'un peu de repos avant la traversée finale.
Cela laisse juste passer une alerte météo, et à midi nous repartons.
Après la passe des Sanguinaires, il reste une forte houle de face et
nous allons danser un moment sur de bons creux. Au passage d'une vague
particulièrement abrupte, l'ordinateur de bord s'éteint, une fumée puis
une odeur de brûlé s'élève dans le carré : il y a eu un court-circuit,
l'ordinateur est mort. Étant par hasard juste devant, je coupe
l'alimentation et il n'y aura donc pas d'incendie... C'est notre
dernière avarie !
Ce bon vent tombe rapidement, et c'est le moteur qui va nous tirer toute la nuit, jusqu'à l'entrée du golfe de Fréjus
que nous atteignons vers midi le lendemain. Petite risée sur les
derniers milles, nous hissons une ultime fois les voiles pour
l'arrivée : manière de reconnaissance à ce vent qui, à part la dernière
étape de la course et quelques tronçons au retour, ne nous a pas fait
défaut et nous a offert de superbes moments de navigation.
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