24 janvier 2022

Transat 2021 : une longue route

Pour la troisième fois, Powhatan met le cap sur les Antilles. C’est ma 9ème traversée atlantique, bienvenue pour échapper au climat pesant de l’épidémie. 







J’ai le même équipage que sur le parcours précédent : Margaux, puis Patrice, me rejoignent à Playa Blanca, sur l’île de Lanzarote, pour les préparatifs. 


Le chantier de Marina Rubicon a effectué les quelques travaux commandés et rien ne manque au moment du départ. 

Du frais pour 3 semaines


15 décembre : nous larguons les amarres sous un ciel gris et humide et un vent soutenu, mais qui ne va pas durer. 


 


Au bout d’une heure, le vent tombe en devenant instable en direction. Jusqu’au soir nous alternons voile et moteur, longeant l’ouest de Fuerteventura. Nous devons contourner une vaste zone sans vent à l’ouest des Canaries, bordée plus loin par un large front froid qui envoie du vent de face sur notre route.

La météo au moment du départ


 




Nous mettons cap au sud, au large du Sahara Occidental. Un petit vent de nord nous pousse à 3 nœuds, guère plus. Le temps s’est dégagé mais reste frais. Un beau clair de lune illumine nos quarts de nuit. 






16 décembre :  en fin d’après-midi, nous recevons un appel des secours de Las Palmas nous signalant un radeau à la dérive avec 6 personnes à bord, à 12 nautiques dans notre sud-est. Nous nous déroutons vers la position signalée, suivis par un hélicoptère de sauvetage. 

En mission avec suivi à l'AIS

Une heure plus tard, celui-ci nous appelle pour nous libérer et nous autoriser à reprendre notre route. Nous manquons de détails mais les naufragés ont dû être repérés : alors que la nuit tombe, nous voyons de loin l’hélicoptère en stationnaire, probablement en cours d’hélitreuillage. 



Un point lumineux à l'horizon



17 décembre : la pièce de jonction du vérin de pilote s’est desserrée une fois de plus et a de plus en plus de jeu. Le bateau est stoppé pour réparer, Patrice démonte et remonte. Nous remettons sous voiles mais quelques heures plus tard une alarme retentit : c’est la tête du bras de vérin qui a cassé. 


 

Pas d’autre solution que de passer sur le pilote de secours. J’aurais préféré que cela se produise plutôt en fin de traversée… 

Nous poursuivons la descente le long de la côte africaine dans un étroit couloir de vent force 1 à 3. Un courant porteur suffit par moments à nous pousser sans bruit sur l’eau lisse, pratiquement à la (faible) vitesse du vent. 


 


Petit temps sous gennaker

Carrément pétole !

 
La salle de yoga                                                       Le club de pêche


Au prix de pas mal d’heures au moteur, nous sortons progressivement de ce marasme, et le 19 après-midi nous faisons route définitivement sous voiles. 



21 décembre : nous atteignons le point de changement de cap à 20° de latitude nord, désormais en route directe vers les Antilles. Le vent se stabilise est-nord-est autour des 15 nœuds, notre vitesse double et les moyennes journalières retrouvent le standard habituel sur ce parcours. Pas de nouvelle avarie, à part la rupture d’un lazy-jack vite réparé.

Lazy-jacks et lazy-bag sont rabantés sur la bôme pour éviter les frottements

Le pilote « de secours » s’acquitte de sa tâche sans problème


Nous ne sommes pas vraiment dans les alizés mais dans un reste d’anticyclone repoussé au sud par une suite de méga-dépressions sur l’Atlantique nord. En témoigne une mer hachée avec houle croisée, mêlant le système tropical et ces trains de dépressions au nord. Conséquence pour nous : nous devons descendre plus au sud encore pour nous éloigner du centre des hautes pressions et garder du vent.

Météo tourmentée sur l'Atlantique nord

La pression monte...

Le ciel flambe


24 décembre : les festivités commencent avec un savoureux réveillon. Patrice et Margaux rivalisent de prouesses pour le régal de l’équipage, alors que Powhatan glisse à 7 nœuds dans la nuit étoilée. 




 
 
Spécialités de truite                                                   Rôti de porc farci

...et la bûche !


Les rencontres en mer deviennent rares. Celle du jour de Noël est plutôt atypique : 3 bateaux à rames, dimensions 8 m x 1 m, vitesse autour de 3 nœuds, pavillon britannique, noms « Vaquita  », « Emma » et « Nichola Helen ». Le contact est établi par VHF : ce groupe de rameurs est parti des Canaries à destination d’Antigua, pas de problème à bord à part un peu chaud. Nous nous souhaitons mutuellement un bon Noël. 


 
A quelques milles, mais pas de visuel

Une cible AIS insolite


Le congélateur, malgré la succession des dépannages et réparations, nous donne toujours quelques soucis : le compresseur tourne sans arrêt. Patrice identifie une des causes du problème : l’isolation thermique du circuit de gaz est insuffisante. Après resserrage du gainage, le fonctionnement s’améliore nettement mais il y a sans doute aussi un dysfonctionnement du thermostat. Heureusement les précieuses denrées du réveillon n’ont pas souffert.


 
Surgainage renforcé                                  C'est plein...   

L’énergie du bord absorbe bien cette surconsommation. En prévoyant d'être bâbord amures le matin, les panneaux solaires bénéficient d’une exposition maximale et la charge atteint des sommets.


 
Des ampères en quantité

L’hydrogénérateur assure une production constante et les moteurs ne tournent que rarement pour un appoint de charge, pour le dessalinisateur et l’eau chaude. 


26 décembre : anniversaire de Margaux, arrosé comme il se doit d’un Margaux 1997 spécialement apporté pour l’occasion. La température ambiante - 26°C - n’est pas idéale et le nectar est un peu passé, mais déguster la vénérable bouteille au milieu de l’océan a une saveur rare. 

 



L’anticyclone s’étend de plus en plus, il nous faut continuer à prendre du sud. Je fixe un nouveau repère à 12° de latitude nord, celle de l’île de Grenade. Nous gardons du vent mais guère plus de force 4. Notre allure de grand largue est confortable mais pas des plus rapides, nous devons nous contenter de moyennes à 6 nœuds. Avec l’allongement de route, notre arrivée est chaque jour repoussée. On commence à faire l’inventaire des vivres, pas encore le rationnement…


 
Toujours plus au sud

28 décembre : nous finissons de contourner la vaste zone de calme dans notre nord en amorçant un changement de cap vers St Martin, entre les 12° et 13° de latitude nord. 


Le vent est régulier autour de 15 nœuds. Il fait chaud, jusqu’à 30°C le jour et 24°C la nuit. Cette zone de l’Atlantique, au large du Brésil, semble assez fréquentée. Nous croisons des chalutiers chinois et coréens, des balises marquées « pêche » à l’AIS, et un bâtiment militaire sans AIS qui vient nous observer de très près. 


 


31 décembre : les festivités s’achèvent avec un réveillon digne du précédent. 


 
Tenue de soirée

Cuvée spéciale océan

Notre route est maintenant directe vers notre destination finale que nous devrions atteindre dans 9 jours. Le congélateur a été vidé, d’où une forte baisse de la consommation électrique. Les moteurs ne tournent plus du tout, même pour les besoins du dessalinisateur : la vraie croisière à la voile au son exclusif du vent et des vagues.

Nuages tropicaux

 
La médiathèque                                                  L'atelier de couture

Les dauphins se font plus rares, mais nous avons la visite d’oiseaux de haute mer : paille-en-queue, puffins et fous de Bassan, qui nous survolent sans se poser. 


 

D’autres êtres volants nous ont amenés au bord du drame : Margaux, ayant laissé son panneau de pont ouvert, a trouvé deux hôtes indésirables dans sa cabine, des poissons volants ! Les clandestins ont été appréhendés et raccompagnés à la frontière, non sans avoir laissé écailles et effluves entêtants sur place. Curieusement, les hublots sont ensuite restés soigneusement verrouillés, sous les commentaires peu charitables du reste de l’équipage… 



2 janvier 2022 : notre belle remontée est freinée par un passage de front, peu actif mais donnant une houle désordonnée et une chute du vent. 

Notre vitesse tombe à moins de 5 nœuds, parfois 4, sous un ciel uniformément bleu. La température de la mer est à 26°C. Les sargasses commencent à apparaître ; Patrice se porte volontaire pour se mettre à l’eau et dégager l’hélice de l’hydrogénérateur. 

Les sargasses ne sont pas bienvenues
 
 
Une baignade acrobatique

En réalité nous en verrons peu et la gaffe suffira les fois suivantes. Cet épisode passé, le vent est de retour et notre vitesse remonte au-delà des 6 nœuds de moyenne. Le cap symbolique des 1000 milles restants est franchi, l’arrivée approche. 


 
Plus que 1000 milles !

5 janvier : alors que nous n’avons croisé aucun bateau depuis 8 jours, un cargo apparaît à l’AIS, puis par appel VHF. Très courtoisement, ce cargo nommé « Federal Yamaska », immatriculé aux Îles Marshall et à destination du Canada, nous signale qu’il va manœuvrer pour nous éviter car nous sommes en route de collision. Je le remercie de tant d’amabilité, rare et réconfortante dans notre solitude.


 
Un cargo très attentionné

Le matériel accuse des signes de fatigue de cette longue traversée. Trois pompes tombent en panne. La cambuse se vide, Patrice et Margaux arrivent encore à préparer des repas très convenables mais les réserves touchent à leur fin. 


 
        C'est cassé...                                             On accommode les restes

En même temps nous parviennent des nouvelles inquiétantes de la terre : l’épidémie galope de nouveau, l’état d’urgence est décrété aux Antilles. Quel accueil allons-nous trouver en arrivant ? 

Les derniers jours sont plus animés. Le vent reste plein est, nous obligeant à tirer des bords arrière, arrosés par les grains dans une mer très agitée. Certaines rafales montent à 45 nœuds, poussant Powhatan à des pointes record jusqu'à 19 nœuds ; nous reprenons l’habitude des prises de ris, après plus de 3 semaines voile haute. 


Temps à grains

 
Ça va nous tomber dessus                                         Réduction de voilure       

Ça arrive...

On est dessous !

Après la pluie...


9 janvier : nous achevons un long bord de 48 heures, enfin sur le cap à 7 nœuds de moyenne. À 3 h du matin nous passons à moins de 5 milles au nord de Barbuda, n’apercevant qu’une vague lueur sous le ciel étoilé. 

Dans la matinée la première terre est en vue : c’est St Barth au sud, et plus tard St Martin devant nous.

St Barth

L'îlet Tintamarre et St Martin 


À 16 heures nous jetons l’ancre en baie du Marigot, remplie de bateaux comme d’habitude, avant de prendre une place au port. Il faut fournir un monceau de paperasse mais tout avait été prévu et est envoyé par mail avant de débarquer.

Mouillage de Marigot

Enfin dans l'eau !

Amarrés à la Marina Fort-Louis


Cette transat totalise 3549 milles nautiques en 25 jours et quelques heures. C’est une de mes plus longues traversées, mais aussi la plus économe en carburant (30 heures pour chaque moteur) et en avaries : le pilote de secours a pleinement assuré la quasi-totalité du parcours, les autres problèmes ont été mineurs. L’équipage s’est montré totalement efficace et d’humeur égale dans la durée. 

La trace GPS de la traversée




Merci à Patrice et Margaux pour leur contribution en photos et vidéos.

1 commentaire:

  1. Cette fois, le suivi météo a été particulièrement décisif étant donné la position inhabituelle de cet anticyclone ! J'ai cru un moment que tu te déroutais vers la Guyane... Merci pour le partage et les belles photos.
    Flora

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