9 août, au large du sud Sardaigne: les heures s'écoulent dans une
chaleur écrasante. Nous vidons nos réserves d'eau par litres. A 14
heures nous croisons une grande tortue en surface.
Toute la journée, la nuit, le jour suivant, alterneront les heures sous voiles et au moteur, au gré du vent mollasson qui rechigne à nous pousser.
Au matin du 11 août, les îles Egades et les côtes de Sicile sont bien visibles.
Toute la journée, la nuit, le jour suivant, alterneront les heures sous voiles et au moteur, au gré du vent mollasson qui rechigne à nous pousser.
Au matin du 11 août, les îles Egades et les côtes de Sicile sont bien visibles.
A 13 heures, nous doublons le cap Solanto au nord ouest de la Sicile et nous nous offrons le luxe d'un dernier bord sous spi avant l'arrivée.
Le cap Solanto |
Nous aurons parcouru les 207 nautiques de cette étape en 45 heures. Nous sommes à 16h30 devant l'entrée du port de Castellamare di Golfo,
joli port dédié à la pêche et à la petite plaisance au moteur. Très peu
de voiles, mais l'arrivée de la flottille du Jasmin va quelque peu
bouleverser cet équilibre.
Après contact par VHF, le comité de course nous envoie une
équipe sur Zodiac pour nous aider à nous amarrer. A ce moment, le bateau
peut avancer au moteur, mais n'a ni point mort ni marche arrière. Après
nous être mis à couple du Zodiac, je ne peux que couper le moteur et
nous nous laissons déhaler vers notre place, choisie pour sa facilité
d'accès en bout de ponton.
Nous demandons un mécanicien qui arrive dans la demi-heure. Après avoir
identifié la pièce à remplacer, il repart en assurant de son retour le
lendemain. Le bateau est en sécurité, les problèmes sont identifiés et ne
devraient plus être bientôt qu'un (mauvais) souvenir. Comme pour saluer
cette arrivée, Guy se casse la figure une nouvelle fois entre le quai
et le bateau !
Je reste à bord toute la journée du lendemain, manquant ainsi l'excursion-phare de la croisière sur le site phénicien de Sélinonte...
Personne ne viendra ! Je m'occupe au rangement du bateau, à de menues
réparations, des manilles à resserrer, du nettoyage... Vers le soir, je
décide de m'attaquer au mécanisme d'inverseur qui, à l'évidence, ne sera
pas réparé. Les 2 câbles de commande, l'un pour l'embrayage, l'autre
pour les gaz, peuvent être manœuvrés à la main mais la prise est
difficile. Après avoir fixé à leur extrémité un démanilleur et un manche
de clé à bougie, l'opération est nettement plus commode.
Avec Guy, le
système sera amélioré en remettant une partie des pièces démontées qui
permettent d'immobiliser les gaines des câbles. Nous faisons quelques
tests à quai : le système fonctionne !
C'est en guise de
revanche que nous allons participer à la régate du 13 août,
parcours-banane devant la longue plage adjacente au port. Bon départ
malgré l'indiscipline de Jean-Claude qui prend des photos au lieu de
border son écoute... Les deux bords par vent travers, sans histoire. Les
bateaux rapides sont devant et nous derrière, l'ordre est respecté !
Mais nous n'avons pas démérité et nous nous en sortons tout à fait
honorablement : manière de confirmer que, à part la commande moteur, le
bateau est indemne et avance parfaitement.
Le retour au port va nous offrir un épisode de plus dans notre suite
d'infortunes : nous faisons le plein de gazole et regagnons notre place.
Avec notre montage sur la commande moteur, les manœuvres au port se
passent assez bien... jusqu'à l'amarrage : une des pendilles,
complètement pourrie, se rompt, laisse filer le bateau en travers... et
va bien entendu se prendre dans l'hélice !! Après avoir assuré le bateau
avec mes bonnes amarres à moi, j'ai donc droit à une plongée sous le
bateau. Il y a 3 tours, heureusement pas trop serrés, dont j'aurai
raison après plusieurs descentes en apnée (on se croirait dans une BD
par moments...!).
14 août : briefing spécial du comité de
course. Les prévisions météo sont mauvaises : avis de fort coup de vent
sur la zone ouest Sicile et sud Sardaigne. Le départ est retardé
jusqu'à nouvel ordre. Pour nous ce seront 2 jours de plus à passer à
Castellamare di Golfo, charmante cité de 20.000 habitants mais aux
ressources un peu limitées pour le visiteur...
Pour le comité de la Route du Jasmin, c'est le casse-tête redouté des
changements de programme : les propriétaires des places que nous
occupons demandent à les récupérer, certains pontons ne sont pas sûrs
face à la houle du large qui s'annonce et il va falloir déplacer les
bateaux, l'étape suivante en Sardaigne est bouleversée. Toute la
journée, des bateaux quittent leur place pour aller s'abriter derrière
l'énorme digue en construction à l'ouest du port. Situation peu
enviable : le quai n'est pas équipé, pas d'eau ni d'électricité, pas
d'accès non plus sinon en annexe. Le mur titanesque coupe la brise du
large et rend la chaleur insupportable. Nous avons eu la chance de
rester au milieu du port et de garder un peu d'air... Le vent du sud va
souffler, portant la température jusqu'à 38° à l'ombre ! Quelques
sorties avaient été prévues vers les mouillages de la côte proche, des
promenades à pied : rien de tout cela, les équipages sont terrassés sur
leurs bateaux, cuisant doucement en attendant le passage de la tempête
sous un ciel plombé...
Entretemps nous aurons eu droit à un (somptueux, cette fois) dîner de
clôture avec la remise des prix, le classement étant établi à ce point
du parcours car il ne restera pas assez de temps à l'ultime étape pour
ce cérémonial. Nous avons de quoi nous réjouir : Ligeia est classé 6ème
sur 14 dans sa catégorie, et 23ème sur 62 au général.
Au bout de ces 4 jours sur place, les cafés et restaurants fréquentés par les Palermitains en goguette (Palerme
est à une heure de route) n'ont plus de secret pour nous. Nous
avitaillons en fruits (un incroyable marché presque oriental avec des
melons verts énormes, des pêches succulentes, pour une poignée d'euros),
en vins de Sicile, et surtout en eau vu notre consommation passée :
transformés en ânes de bât sous la chaleur, nous chargeons 60 litres
d'eau en bouteilles ...
16 août : le signal du départ est enfin
donné pour la fin de matinée. Nous n'attendons pas la mise en place de
la ligne de départ et quittons le port à 11 heures. Nous trouvons une
mer encore bien formée avec une houle résiduelle et un vent de NW de 9
nœuds que nous prenons par un premier bord plein nord au près. Ce vent
va bien vite faiblir, et nous remettons le moteur dès 16 heures. Toute
cette étape va osciller entre des bords sous voiles par vent faible
prenant toutes les directions, et de longues heures au moteur avec des
moments d'authentique pétole.
Nous atteignons La Caletta,
au nord est de la Sardaigne, le 18 août à 14h. Ce parcours de 221
milles nous aura pris 51 heures, dont 34 au moteur. Le port est vite
rempli par ce qui reste de la flottille : plus de 20 bateaux ont
abandonné depuis le début de l'expédition.
La Caletta |
L'escale à La Caletta sera courte : bref avitaillement, discours de
clôture... Les élus locaux, pour compenser un peu les festivités prévues
et annulées, tiennent le micro plus d'une heure en rivalisant de
formules convenues, poliment applaudis par des équipages affamés. Le
buffet un peu indigent nous lasse vite et nous nous rabattons sur une
excellente trattoria en ville avant notre dernière nuit en terre
italienne.
19 août : la Route du Jasmin 2008 est
terminée. Pourtant le parcours qui nous reste sera certainement le plus
beau et le plus intéressant en navigation. D'une traite, nous longerons
la côte nord est de la Sardaigne, nous passerons par l'archipel de La Maddalena puis les Bouches de Bonifacio
avant de suivre la côte occidentale de la Corse, enfin la traversée
jusqu'aux côtes varoises : environ 230 nautiques que nos prévoyons de
couvrir en 52 heures.
Départ à 10h et première bonne nouvelle :
il y a du vent,maintenant que la course est terminée... Par vent
travers, voire au largue, dès la sortie du port nous avançons à bonne
vitesse. La seconde bonne nouvelle est l'absolue beauté de cette portion
de la côte sarde, découpée en calanques et îlots abrupts qui se
succèdent en lames parallèles jusqu'au nord. Beaucoup de bateaux, de
nombreux ports entre La Caletta et Porto Cervo.
Nous atteignons le cap Ferro
à 17 heures et entrons dans le canal qui traverse les nombreuses îles
de la côte nord, éparpillées autour de La Maddalena. Le vent fraîchit un
peu dans ce goulet et devient assez instable, obligeant à une grande
vigilance à la barre. J'ai tracé la route au GPS et nous la suivons avec
précision. Le chapelet d'îles et de canaux luisant dans la lumière
rasante de la fin de journée offre un magnifique spectacle.
Mais bientôt l'atmosphère change : le soir tranquille se métamorphose
par l'arrivée de vagues serrées de canots à moteur. Par dizaines,
centaines peut-être, ils convergent par files dignes des périphériques
urbains aux heures de pointe, faisant vrombir des moteurs monstrueux qui
soulèvent d'énormes vagues dans l'étroit passage : Venise en 10 fois
pire...
Cette
horde de Huns maritimes, après une dure journée baignade-bronzage, se rue vers les marinas plus ou moins chics du coin pour le sacro-saint apéro. Terrifiant !
Nous qui revenons quasiment d'un tour du monde, mal rasés, le cuir
tanné et fleurant la saumure, affichons notre serein mépris pour cet
univers futile...
Le gréement n'en peut plus de ce remue-ménage qui ôte toute efficacité
aux voiles, et nous voila contraints de faire allégeance, nous aussi, au
dieu moteur. Heureusement nous quittons bientôt ces boulevards et leurs
torrents de bruit, passons devant le port de La Gavetta et continuons à l'ouest vers les Bouches de Bonifacio.
Nous passons les Bouches à la tombée de la nuit, en trouvant comme on
pouvait le prévoir un fort vent d'est qui nous fait filer à 7,5 nœuds.
Là encore, ce passage est magique, à égale distance des côtes corses et
sardes qui scintillent de tous leurs feux, dans des conditions météo
idéales. Une fois ce tableau derrière nous, nous reprenons les quarts de
nuit. Le vent tombe progressivement et le moteur est remis en marche
jusqu'au matin.
Nous longeons la côte ouest de la Corse toute la journée du 20 août : la baie de Propriano, puis Ajaccio et les îles Sanguinaires. Plus loin au fur et à mesure que nous progressons au nord ouest, Cargèse, Porto, la Scandola se noient dans la brume...
A 17 heures, aucune côte n'est plus en vue et nous touchons à
l'évidence une "queue de mistral", bien conforme aux prévisions météo :
vent de force 5 à 6, restant au NW qui nous permet de rester assez
proche de notre route au près. Ce qui n'était pas prévu, c'est la mer
qui monte, monte... Après avoir pris 2 ris, je débranche le pilote pour
négocier les vagues courtes et effilées qui soulèvent le bateau et le
font retomber en tapant dur. Je reste ainsi à la barre 2 bonnes heures
dans des conditions encore assez confortables. Mais la mer grossit
encore, la houle atteint largement les 2 mètres et reste très serrée.
Nous réduisons le génois, la grand-voile est un peu débordée, rien ne
traîne sur le pont, tous les panneaux et la descente sont fermés et les
rangements intérieurs vérifiés. Le bateau est très secoué (et nous avec
!) mais reste sur sa route.
A 19 heures, les vagues sont
verticales et grossissent encore. Je vois arriver une première
déferlante qui domine entièrement le bateau et tombe en inondant le
cockpit : la douche pour nous, 10 cm d'eau qui s'évacue en torrent par
l'arrière... Le bruit est infernal : sifflement du vent dans la voilure,
impacts rythmiques des drisses, chocs de l'étrave du bateau à chaque
vague, et ce grondement énorme de la mer qui avance sur nous sans
relâche... La nuit est tombée et la situation devient franchement
inconfortable à la barre. Il n'est plus possible d'éviter les chocs de
l'étrave, tant les vagues se succèdent à grande vitesse avec des creux
désormais supérieurs à 3m50. Je règle le pilote sur une bande morte
minimale et un gain maximal. Le moteur est mis en marche pour assurer
l'équilibre du bateau et parer à toute défaillance des batteries : on ne
l'entend pas démarrer au milieu du tapage ambiant, mais sa vibration
régulière nous assure de son bon fonctionnement. La grand-voile reste
arisée à 2 ris et le génois enroulé en tourmentin. L'agitation est à son
comble, on se croirait dans une machine à laver !
Le pilote conduit le bateau sans faiblir à l'assaut de chaque vague l'une après l'autre. Nous prenons encore plusieurs déferlantes qui abattent des hectolitres d'eau verte, vite évacuée par la plage arrière. Le bateau reste au près en prenant les vagues en oblique, sous le contrôle du pilote qui lofe et abat par petites touches précises en cliquetant sans relâche. Le vent reste autour de 25 nœuds, au NW et toujours au près. Nous maintenons une vitesse de 4,5 à 5 nœuds. Après avoir changé mes vêtements entièrement trempés, Guy de quart abrité par la capote, je me coince entre la table du carré et le sac de spi au milieu de ce chahut, éprouvant les mouvements cycliques du bateau : montée vigoureuse pendant 3 à 4 secondes, suspension en l'air presque sans mouvement à part un léger basculement, puis chute verticale dans un fracas d'éclaboussures, de bruits de coque et de résonance des réservoirs... C'est presque une ivresse : ainsi immobilisé, j'arrive à dormir une bonne heure !!
Les quarts se succèdent... Après 1 heure du matin, on observe un début
d'accalmie. On sort du couloir de mistral, et assez vite la mer devient
simplement agitée, sans plus. Il n'y a plus de déferlantes ni de vagues
de plus de 2 mètres. Le vent refuse et se retrouve face à notre route.
Les voiles ne servent plus guère qu'à stabiliser le bateau : génois
enroulé, c'est désormais le moteur qui nous pousse. Il reste une
trentaine de milles et nous finirons ainsi le parcours. La "grosse
tannée" aura duré 7 heures, sans erreur ni dégât cette fois.
21 août : avant le lever du jour, c'est comme toujours le phare de Camarat
qui est le premier feu visible. Nous passons au large de Cannes, du
Drammont... tout est désormais tranquille, il n'y a plus que 5 nœuds de
vent qui permettent une manœuvre de port sans difficulté. Nous sommes à
quai à Port-Fréjus à 8h30. La traversée Corse-continent nous a un peu
retardés : plus qu'une réduction de vitesse, nous avons subi une nette
dérive à l'est que montre le tracé enregistré sur le GPS. Malgré tout,
nous avons couvert ce trajet de retour de 228 nautiques en 46 heures,
nettement plus vite que prévu. Des images plein les yeux, des sensations
plutôt fortes... n'étaient les blessures du bateau qui restent, il y
aurait tout lieu d'être totalement heureux quand nous posons le pied sur
la terre ferme.
Epilogue : la
Route du Jasmin est à juste titre une véritable institution dans
l'univers des courses-croisières méditerranéennes. Bien qu'amputée de
son étape tunisienne cette année, elle nous a conduits sur un parcours
bien conçu, menée par une équipe aguerrie et souvent admirable. Un
bémol : la longueur et le nombre des étapes obligent à rallier les
escales dans un temps limité. Vu le climat dans la zone en août, le
manque fréquent de vent a obligé à beaucoup naviguer au moteur (plus de
100 heures sur l'ensemble de la course), ce qui est frustrant pour une
course à la voile.
Un bateau tel que Ligeia montre ses limites
sur ce genre de parcours : problèmes d'autonomie sur les longues
distances (surtout quand les avitaillements prévus sont défaillants !),
performances en rapport avec la taille et donc pénalisées dans le petit
temps dominant, confort évidemment minimal dans les conditions météo
"musclées", inévitables sur un itinéraire aussi long. Malgré ces
restrictions, et malgré les avaries subies, le bateau s'est pourtant
très bien comporté et a prouvé ses qualités de navigation et de
sécurité.
A refaire... dans quelques années peut-être !
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